30 janvier 2019 Suzanne Sirois

Pour moi, ça a été insidieux…

Pour moi, ça a été insidieux, c’est arrivé par derrière… Je reconnaissais sa présence en moi. Ce n’était pas la première fois qu’elle me visitait, mais je voulais être plus forte qu’elle, alors j’ai fait du déni.

Elle est arrivée doucement à pas feutrés, elle a commencé à me faire croire que je n’étais pas assez bonne et que tout le monde arrivait mieux que moi à surmonter la vie. Elle riait de moi, m’enjoignant à en revenir, parce que tout le monde en revient!

Encore une fois je l’ai laissé dire et j’ai fais semblant que sa voix ne m’atteignait pas, que j’étais plus forte qu’elle.

J’ai continué à travailler, à rire –pas pour de vrai, mais rire quand même-, je m’obligeais à présenter un air de bien-être et de contrôle!

Le contrôle!

C’est quand j’ai commencé à penser que j’avais le contrôle sur elle, que je l’ai totalement perdue.

Toujours en gardant mon visage souriant, en allant travailler tous les matins, en donnant mes cours de yoga le soir, en remplissant ma vie de projets intéressants, je pensais que j’arriverais à la faire taire ou mieux disparaître.

« Ce que l’on fuit nous suit » m’a déjà dit une amie.

Alors elle s’est collée à moi, assombrissant même l’été merveilleux que nous venons de passer, elle a engrisée ma vie jusqu’à ce que je n’arrive plus à profiter ni de la lumière, ni de la chaleur, ni de mes amitiés, ni de l’amour de mes enfants et de ma famille.

J’ai commencé à la croire quand elle me criait que je ne valais rien, que si je valais quelque chose les choses iraient mieux pour moi, que ma vie serait géniale. Que je serais heureuse quoi!

Toujours je me rendais au travail, toujours je faisais des blagues comme d’habitude, mais les plus perspicaces autour de moi commençaient à voir des failles sur la carapace. Juste moi qui pensait encore que j’étais assez puissante pour ignorer les signes et même les pulvériser!

Je me voyais devenir incompétente dans mon travail, parce que je n’arrivais plus à me concentrer ni à faire le travail demandé. Alors en moi est montée la culpabilité, la honte, avec un sentiment d’échec assourdissant.

Je me disais que j’avais besoin de me reposer, que j’étais due pour les vacances et que ça me ferait du bien.

Je suis arrivée dans mes vacances en état d’apnée! Je manquais d’air, le souffle était court et mes batteries à plats. Me suis reposée, j’ai profité du soleil aussi, mais tout ça n’a rien réglé. Je m’enfonçais tous les jours un peu plus sous le brouillard de ces pensées récurrentes qui me répétaient sans cesse que je n’étais pas assez bonne pour être une mère, une amie, une collègue, une employée. Les nuits étaient peuplées d’idées qui tournaient en boucles et rien pas même le yoga, la méditation, l’écriture en venaient à bout. Je voyais les heures s’égrener sans trouver le sommeil en me disant qu’il fallait pourtant que je me repose car je retournais travailler bientôt.

Une roue sans fin d’insomnies, de fébrilité, d’idées de plus en plus noires et l’envie de m’isoler parce que je trouvais ma présence lourde et que je n’avais rien à dire de toute façon…

Moi, le rayon de soleil de mes parents, le guide de mes enfants, la yogini qui donne des cours sur comment respirer, se centrer, et se connecter à soi-même n’arrivait ni à manger, ni à dormir, ni à arriver à se connecter à ce qu’elle ressentait vraiment.

Un jour, j’ai dû admettre que sa présence était réelle dans ma vie et que ce n’était pas uniquement de la fatigue d’une année chargée émotivement.

La dépression s’était bel et bien installée dans mes pensées, dans mon corps et mon âme.

L’accepter a été difficile, mais il a été encore bien plus difficile de me mobiliser pour aller chercher de l’aide. Encore une fois j’ai cru que je serais capable seule, moi la forte, moi qui ai déjà surmonté tant de choses!

Il a pourtant fallu que j’admette que mon ressort intérieur n’y arrivait pas. Il a fallu que j’accepte que j’étais en train de me noyer pour que je cogne à la porte du médecin, d’une thérapeute et que j’accepte d’ouvrir ce qui se passait à mes amis, mes enfants et à ma famille.

Je viens d’une famille forte, qui surmonte tous les obstacles, j’ai des amis qui sont puissants, qui vivent des choses parfois très difficiles et ils gardent le sourire et avancent dans la vie et j’avais l’impression que je n’étais ni à la hauteur des uns, ni des autres.

Pire, c’est que la dépression ne paraît pas nécessairement dans le visage en société. Je suis quelqu’un d’assez fière et bien que je n’arrivais pas à prendre de douche parce que j’en avais pas l’énergie ni la force, quand je devais sortir je me forçais et je suis toujours arrivé à avoir l’air bien.

La dépression est une maladie qui ne paraît pas physiquement, c’est comme avoir le cancer, mais un cancer de l’âme.

Alors pour plusieurs c’est une maladie de paresseux, de gens qui s’écoutent trop et qui ont trop de complaisance envers eux-mêmes.

La souffrance qui en découle est trop souvent cachée, parce que l’isolement est bien souvent l’arme des gens qui en souffre. Cette arme je l’ai utilisé… Et elle s’est retournée contre moi. Parce que la petite voix de la dépression me disait constamment que le monde roulerait mieux sans moi, que mes enfants avaient un bon père, que mes parents avaient des enfants bien plus forts que moi et que tous s’en remettrait… Plus les jours avançaient, plus je croyais ses paroles…

L’espace noir que l’isolement a construit autour de moi, ne laissait passer aucune trace de lumière…

Heureusement j’ai soigné ma dépression. Pour moi la  »grano », la prise de médication a été difficile, surtout qu’il a fallu plusieurs molécules pour venir à bout de cette voix dans mon cœur qui m’enjoignait d’en finir…

Mais au final, je me suis dit que si j’avais eu le cancer ou même le diabète je me serais soignée, parce que sans ce voile noir, sans cette boule dans la gorge, sans les pleurs à l’infini, je savais quelque part loin au fond de moi que j’aimais ça vivre.

Alors matin et soir, verre d’eau à la main, j’ai avalé ces médicaments et petit à petit j’ai commencé à percevoir des brins de lumière traverser les nuages…  Du noir, il ont lentement passés au gris…

J’ai commencé à sortir de mon lit doucement, à reprendre contact avec les gens que j’aime.

La thérapie m’a aidé et m’aide encore.

Parce que ce n’est pas parce que je partage ça avec vous aujourd’hui que le soleil est revenu et que les nuages sont duveteux et blancs.

Mais bien parce que je sens que ça s’en vient doucement, parce que j’ai repris goût à la photo, à sortir dehors, à manger et à m’approcher des gens que j’aime et qui m’aime aussi.

Je sais aujourd’hui que je suis passé très près d’écouter la voix de la dépression qui me disait de façon persistante que je ne méritais ni d’être heureuse, ni de vivre.

Maintenant elle me parle, mais je l’entends de loin.

Même que sa voix ne m’atteint presque plus.

Il reste la fatigue, la lassitude et les larmes qui viennent plus vite qu’habituellement.

Je partage ceci avec vous parce qu’il est important d’en parler, d’aller chercher de l’aide. La dépression n’est pas une maladie banale de gens paresseux qui s’écoutent trop.

Au contraire, c’est une maladie qui arrive parce qu’on ne s’écoute pas assez et qu’on travaille fort pour ignorer les signes qu’elle nous lance.

N’hésitez pas à demander de l’aide, si vous pensez en avoir besoin.

Un pas difficile à faire, mais qui facilite grandement la route à faire jusqu’au soleil!

Namasté

Julie